Cultura pentru toti

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Pentru toti cei interesati de nivelul de cultura al romanilor


    Biblioteci in inchisori (in l.franceza)

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    Mesaj  Admin Vin 23 Oct 2009 - 14:36

    « Pour une bibliothèque au-delà du livre ».



    Je voudrais partager avec vous quelques réflexions à propos des missions possibles des bibliothèques en prison. Pour en avoir visitées un certain nombre dans plus de 70 pays, je me permettrai également de vous soumettre quelques suggestions qui, même dans un contexte de ressources très limitées, permettront d’initier des changements significatifs pour un meilleur accès des détenus à la culture.
    Car c’est bien l’enjeu : un accès de tous à la culture.

    La nécessaire transformation du rôle, de l’organisation et des activités des bibliothèques dans les prisons contribuera à y démarginaliser les activités d’éducation. C’est une vision globale de l’action sociale, de l’éducation, de la santé, des relations familiales qu’il faut favoriser quand on parle d’intervention en prison et je crois – c’est ce que je vais essayer de montrer – que la nécessaire transformation des bibliothèques en espaces de vie et de culture peut contribuer à cette approche globale.

    Mieux que quiconque, vous savez que la bibliothèque est plus et autre chose qu’une collection de livres à distribuer. Mieux que n’importe qui, vous savez que le bibliothécaire est une personne qui fait plus et autre chose que de distribuer des livres.

    Je ne suis pas bibliothécaire et, en préparant cette conférence, je me rends compte que je ne vais jamais à la bibliothèque … j’aime beaucoup les livres, j’en achète plus que de raison et le livre une fois lu, je ne peux m’en débarrasser, même si je sais que je ne relirai sans doute jamais un certain nombre d’entre eux. J’adore les garder ; en lisant, j’écris dedans.

    J’ose ainsi espérer que le fait de ne pas aller à la bibliothèque ne soit pas synonyme d’inculture !

    Ce qui me fait dire aussi que certains éléments de la réflexion à propos de l’avenir des bibliothèques en prison rejoignent certainement quelques-unes des interrogations que nous avons à propos du devenir des bibliothèques en dehors de la prison.

    Même dans les pays où le niveau d’éducation et d’enseignement est le plus élevé, ce n’est qu’une petite partie de la population qui va à la bibliothèque.




    1. INFORMATION ET CULTURE


    1.1. connaître et traiter l’information

    Vers 1750, Diderot et d’Alembert créaient l’Encyclopédie. A défaut de tout connaître, il fallait au moins tout rassembler; toute l’information et toute la science devaient pouvoir se trouver dans un seul endroit. Et cet endroit, c’était le livre.
    L’Encyclopédie a été le point de rencontre entre information, science, savoir et légitimité du savant. Le livre donnait la pertinence et les lettres de noblesse à l’information et donc à la science.
    Toute la science est accessible par le livre ; il y a coïncidence ente les livres et la somme des connaissances.

    Que tous n’y aient pas eu accès, parce que pauvres, exclus ou illettrés, n’était pas une préoccupation essentielle; le savoir devait être plus accessible aux savants et honnêtes gens qui en feraient un bon usage plutôt qu’aux « incultes ». L’accès au livre révèle et fige déjà la situation culturelle et sociale.

    Pour les Encyclopédistes, l’essentiel est de compiler, mesurer et même contempler le savoir dans sa dynamique d’accumulation. L’encyclopédie était un projet fou non seulement de par son défi de tout rassembler mais était également un projet idéologiquement caractéristique de l’époque: maîtriser le savoir accessible à certains, créé par des spécialistes.
    Dans ces conditions, la science, c’est la culture et la culture, c’est la science.

    Celui qui sait est un homme cultivé ; un homme bien davantage qu’une femme (à cette époque) – admise avec réticence dans le champ de la production littéraire et avec mépris dans le secteur de la recherche scientifique.

    Je ne veux pas faire ici une histoire de la circulation et de la légitimation de l’information mais rappeler simplement la suite: à savoir la lente et progressive reconnaissance des informations produites et des cultures d’autres peuples, d’autres catégories sociales,… cette reconnaissance progressive du fait que chacun peut devenir non seulement récipiendaire mais aussi producteur de connaissances - ce qui a entraîné un élargissement de la définition de culture.

    L’accumulation et la diversification sont en route: une démocratisation de l’accès à l’éducation et à la culture rend justice à la création de journaux plus populaires, à la radio, au cinéma. On diffuse massivement - je ne parle pas de la qualité de cette information - et plus tard, on a va même créer son propre journal (d’entreprise, de village, de club), sa radio, sa TV et plus tard encore sa page facebook.

    Depuis quelques années, grâce à la quantité d’informations disponibles sur le Net, il y a encore moins de raison d’aller à la bibliothèque.


    C’est non seulement la mise à disposition des informations qui se trouve facilitée mais également sa création ! Il n’y a pas si longtemps, un auteur produisait son texte, le faisait recopier, l’envoyait chez l’imprimeur et un éditeur était chargé de diffuser l’œuvre dans les libraires et les bibliothèques ; le vendeur vous le proposait.

    Dans de nombreux cas, imprimeurs, éditeurs et autres métiers du livre ont vu leur pratique professionnelle diminuer: bon nombre de productions sont copiées, photocopiées, « USB-isées » , déposées immédiatement sur la toile par l’auteur, que ce soit le résultat d’une enquête, l’étude des comportements, des recettes de cuisine, voire la présentation de l’intimité de certaines personnalités plus ou moins consentantes. Les réactions à l’œuvre viendront tout aussi rapidement et on peut ainsi dire que, pour des pans entiers de la littérature que l’on retrouve normalement dans les bibliothèques, le savoir construit par les réactions à la production d’une œuvre sont presque aussi contemporaines que la production elle-même.

    Maintenant, des vedettes du sport, du show bizz et autres people font un livre pour être mieux connus alors qu’avant, on était connu parce que l’on venait de produire un livre !

    C’est dire que les bibliothécaires travaillant en prison ou à l’extérieur traitent un objet dont la fonction utilitaire et symbolique a été considérablement modifiée.

    Sur la toile, des milliers d’informations sont produites, réappropriées, commentées, évaluées dans un espace temps excessivement réduit… et ce quel que soit le produit: la vie intime d’une vedette de la chanson comme un livre polémique sur un sujet politique d’actualité. Les intervenants ne sont pas les mêmes mais tout le monde participe à ce type de forum permanent.

    Tout est présent mais sans ordre. Tout est au présent aussi. Une partie du rêve de Diderot et d’Alembert connaît une seconde vie, grâce à la toile.


    1.2. hiérarchiser l’information

    Sur la toile, il n’y a aucune hiérarchie dans les messages: tout se côtoient ; toutes les informations sont non seulement bonnes à dire mais bonnes à lire. Bien souvent, cette information est un bien de consommation à durée de vie relativement courte; une information chasse l’autre parce qu’elle est plus récente, plus contraire ou plus polémique. Peu importe; ce que l’on peut lire est un mouvement de réactions, de sentiments - rarement d’analyse.

    On connaît aussi les dérives de cette situation ; elle concerne autant les idées artistiques que politiques, religieuses et sociales. Dans une vision postmoderniste, à partir du moment où une idée exprime une subjectivité ou la pensée d’une communauté raciale, sexuelle, religieuse, le politiquement correct veut que cette idée soit respectée – ce qui est sans doute à mettre sur le compte positif d’une vision positive de la multi culturalité.

    Mais donc, dans cette perspective, puisque toutes les pensées sont équivalentes, il n’y aura plus de critère éthique, ni de critère cognitif pour dire une vérité. (parfois, ce sera la politiquement correct qui fera l’affaire) .



    En poussant plus loin, on constate que certaines idées considérées comme inacceptables au plan moral peuvent être acceptées au nom du postmodernisme et du droit à l’expression. C’est maintenant le cas pour les relations entre science et religion où les idées religieuses intégristes concurrencent, à égalité de statut, les plus grands scientifiques.

    Dans ces situations problématiques, la question du sens se pose: malgré la loi et un consensus social implicite, les familles et les institutions d’éducation se heurtent à la nécessité de redéfinir le permis, le défendu, la relation entre connaissance et avis.
    Où trouver le vrai, où trouver la réponse, où trouver le sens et comment les communiquer ?

    Ce petit détour par une lecture trop schématique de l’histoire de l’information ne nous a pas éloignés de notre propos: que savoir, que diffuser, qu’accepter, que débattre en prison et par quels moyens ? Quelles attitudes développer devant la faute, l’inadmissible ? Quelles stratégies mettre en œuvre pour une culture qui libère ?


    Nous y sommes.



    2. LE LIVRE


    On vit dans le monde de l’information jetable, provisoirement vraie ou acceptable, parfois pertinente au seul titre du droit à son expression.
    Il en est de même pour le livre: la rapidité de confection du livre en fait un objet moins luxueux. Il y a toujours le beau livre (d’art) mais il y a aussi des livres à durée de vie relativement courte, principalement des livres d’actualité politique ou télévisuelle.

    De plus, le livre n’est plus – et de loin -, le seul outil pour la diffusion de l’information. La preuve, c’est que la plupart d’entre nous pouvons imprimer à la maison ou au bureau des centaines et des centaines d’œuvres, y compris les nôtres ! Nous sommes tous des créateurs ; nous sommes tous des imprimeurs ; nous sommes tous un peu des bibliothécaires avec nos banques de données personnelles.

    Dans ce contexte, à quoi sert une bibliothèque qui garde précieusement des informations, des œuvres qui, à l’image du bâtiment qui les abrite, doivent défier le temps.

    On m’objectera qu’il y a évidemment plus qu’une nuance de nature et de pertinence entre les documents consultables sur la toile et les collections des bibliothèques. Je suis d’accord tout en observant que la plupart des lecteurs se retrouvent sur la toile et non dans les bibliothèques.
    L’information et une forme de culture ne font plus du livre le support et le symbole fort de la connaissance; la sagesse et la permanence du livre de bibliothèque ont été remplacées par la dynamique de l’échange sur la toile.

    Je ne me réjouis pas nécessairement de cette tendance mais je dois bien la constater.




    Les responsables des bibliothèques en sont conscients depuis longtemps, eux qui organisent, depuis déjà de nombreuses années, des activités créatives pour enfants, pour personnes âgées, des expositions afin que les gens (pas nécessairement des lecteurs) apprennent à venir ou revenir à la bibliothèque et pour replacer le livre dans le contexte de la consommation et de la production culturelle … et sans doute aussi pour préserver les emplois !
    La bibliothèque n’a plus le monopole de la conservation du savoir et de sa sacralisation.

    Dans ces conditions la bibliothèque, comme bâtiment rassemblant des milliers de livres, voit son rôle bouleversé.

    Il faudrait sans doute une analyse plus fouillée sur la réalité vécue aujourd’hui par les bibliothèques ; je ne suis pas bibliothécaire mais il me semble, en tout cas, que la production et la consommation de savoirs et d’informations bouleverse le rôle des bibliothèques comme lieux de conservation de culture et de livres.

    Dans ces conditions, à quoi bon une bibliothèque en prison ?




    3. LE LIVRE EN PRISON


    Poser le problème de l’organisation des bibliothèques dans les prisons nous amène tout naturellement à nous interroger sur le rôle de la culture en prison.
    La culture n’est pas un ensemble homogène de connaissances, d’attitudes ou d’objets symboliques. La culture est dynamique, produite par des esprits libres.
    Quelle culture pour quelle prison, donc ?
    Redescendons sur terre et rappelons-nous la situation dans laquelle nous travaillons :


    a) beaucoup de prisons de disposent pas de bibliothèques

    C’est un constat simple : manque de ressources humaines et matérielles, pas de demande de la part des détenus (l’éducation est rarement une demande formulée par les détenus … sauf à confondre demande culturelle et demande de TV). Parce que les détenus ne sont généralement pas de grands lecteurs, parce que le contrôle des lectures doit être un travail important, parce que le livre et la culture caractérisent trop souvent encore une classe sociale, … celle qui a prononcé le jugement et la peine du détenu. A quelques exceptions près, c’est vraiment un autre monde !

    b) là où il y a bibliothèque, c’est bien souvent un petit local peu accessible et contenant des caisses de livres et de revues.

    On parle donc d’UN seul local, devant répondre aux demandes de plusieurs centaines de détenus. Ce local n’est toujours pas accessible et l’infrastructure de base n’incite pas à s’y attarder et lire. C’est parfois aussi la possibilité d’avoir plusieurs livres à la fois pour comparer, regarder, survoler. Comme si un livre se lisait nécessairement de la première à la dernière page avant de passer au suivant !

    c) quand je demandais à visiter la bibliothèque, on s’interrogeait souvent pour savoir où se trouvait la clé

    Je venais pourtant dans un cadre précis, invité par les autorités de l’établissement et des administrations concernées mais il n’était pas souvent prévu que quelqu’un qui s’intéressait à l’éducation en prison pouvait également être intéressé par la bibliothèque !

    d) les livres à disposition sont souvent de multiples copies du même livre – bien souvent technique.

    Sans généraliser, il m’est quand même souvent arrivé de trouver de nombreux exemplaires d’un même livre et sans que ce livre soit en rapport évident avec les cours d’éducation formelle ou non formelle. Il s’agit manifestement de stock de livres invendables, que l’on n’ose plus offrir – sauf en prison !

    Les livres sont souvent dans un état impeccable; je disais souvent, sous forme de boutade, que ce sont les détenus qui sont les plus soigneux avec leurs livres… les livres ne sont pas écornés, pas abîmés, pas salis…. À moins qu’ils n’aient jamais servi !!!

    e) les bibliothèques des prisons sont souvent l’ultime étape du livre avant sa mise au pilon.

    Après avoir été achetés, rendus et avoir séjourné dans des magasins de seconde main; après être passés parfois par les hôpitaux et les brocantes où on vend les livres au kilo, les livres les plus chanceux arrivent en prison. Pour eux aussi, l’arrivée en prison n’est pas une étape glorieuse.

    f) bien souvent, les livres sont sans intérêt pour le détenus et ont rarement un lien avec les cours d’éducation formelle ; certains sont destinés aux enfants et peu sont dans des langues parlées par les détenus

    Il n’y a pas encore beaucoup de coordination entre l’offre (gratuite) de livres et la demande (de lecture des détenus). Trop souvent aussi, les bénévoles de la bibliothèque ne connaissent que très peu les activités éducatives organisées dans la prison… surtout si la prison accueille plusieurs centaines de détenus. Les livres proposés aux détenues sont plus souvent des brochures de cuisine, de beauté, à propos des soins du bébé ou du maquillage. On connaît aussi le problème de la mise à disposition de livres dans les langues des détenus : il faut non seulement les trouver mais s’assurer que leur place est bien en prison.

    Très peu de prisons ont un budget pour l’achat de livres.










    g) une fréquentation ambiguë

    De toute manière, les détenus, avant leur incarcération, n’avaient pas l’habitude de fréquenter la bibliothèque. Pauvres, subissant l’exclusion ou appartenant à des milieux violents, les détenus n’imaginent même pas l’utilité de la bibliothèque, sauf éventuellement pour se revêtir d’un nouveau costume : celui du lettré, de la personne intelligente (qui a donc compris sa faute et la regrette), qui sait aussi que les heures passées en bibliothèque influenceront de manière favorable l’évaluation qui sera faite de sa conduite, ou pour marquer sincèrement et symboliquement sa volonté de se référer à un autre monde, celui des lettrés en opposition à celui des sauvages !

    h) Les détenus.

    Ils ne forment pas un groupe homogène même à l’intérieur d’une même prison. Leur passage par l’éducation formelle a souvent été un échec et les informations qui ont été nécessaires à leur survie ont pu être trouvées ailleurs que dans les livres : elles sont disponibles à foison dans la famille, le quartier, la bande, la TV, les réseaux informels… mais pas dans les livres

    C’est de la même démarche que procède la réflexion sur les acquis et la validation de l’expérience. Brièvement, comment faire prendre conscience au détenu que, même sans certification officielle, il possède un certain nombre d’outils qui, réorientés vers des fins socialement plus approuvées, lui permettront d’essayer de formuler un projet de vie à mettre en œuvre dès la sortie de prison. En ce qui concerne la validation des acquis, il faut faire prendre conscience au détenu des potentialités et acquis qu’il possède.

    En ce qui concerne les bibliothèques, il faut lui faire prendre conscience qu’il y a des lieux où l’échange est possible, sans violence mais avec des arguments opposés ; il y a des lieux marqués socialement qui lui deviennent accessibles non pour jouer un rôle ou monnayer une faveur à l’administration mais pour y être une personne qui cherche, échange, entre en dialogue, s’informe, découvre de nouvelles potentialités.

    Etre socialement et culturellement exclu ne veut pas dire être sans culture, sans connaissances … et certainement différentes de celles stockées sur les rayons poussiéreux des bibliothèques de prison…


    Il faut davantage penser la bibliothèque comme des lieux ouverts aux questionnements des détenus en matière de santé, d’action sociale, de culture et d’échanges entre eux et avec leurs familles plutôt que comme un centre de distribution de livres pour des gens qui ne savent pas lire !










    PROBLEMATIQUE


    La culture, tout comme l’éducation, n’a jamais été une revendication en prison. Les revendications des détenus concernent évidemment les conditions de leur détention et certainement les perspectives de libération.

    Pour négocier une libération conditionnelle ou certaines facilités, les détenus vont développer leurs stratégies en répondant favorablement aux « critères » attestant d’une bonne conduite. Sans être le seul critère, la réponse aux offres d’éducation sera certainement l’un d’eux et il ne sera donc pas rare d’avoir des détenus qui iront au cours d’alphabétisation même s’ils savent lire, aux cours de formation professionnelle même s’ils ne comptent pas exercer le métier appris et aller à la bibliothèque, même si le livre ne les intéresse pas. Car ils savent que la prison est un milieu de conditionnement et d’imitation. Ils vont imiter les gestes et attitudes à développer et la participation aux activités de la bibliothèque peuvent en être. Ce seront des comportements notés positivement par l’administration pénitentiaire.

    Il ne faut pas être défaitiste ou cynique : certes certains détenus découvrent avec intérêt la bibliothèque comme objet symbolique de culture mais aussi comme espace – temps pour essayer de s’informer et de comprendre.

    Le détenu a très souvent vécu dans un monde sans livre.


    A. Le livre : l’offre sans demande

    Quels livres proposons-nous :

    a. un livre pour le plaisir: c’est le livre qui ne sert à rien ; lire la vie de Mozart, l’histoire du tango, l’Illiade : c’est mon plaisir, mon moment à moi.
    b. un livre pour apprendre une chose précise à un moment précis : c’est le livre de recettes : comment préparer tel cocktail, cultiver telle plante, voire élever mon enfant ou me faire des amis.
    c. un livre pour continuer à apprendre ou découvrir de nouveaux champs d’intérêt: les nouveautés en médecine, l’histoire, les grands espaces, la psychologie de l’enfant, pourquoi je suis violent …
    d. un livre pour comprendre et me comprendre, m’expliquer l’histoire, les grandes batailles, la vie des grands truands, y compris ceux qui n’ont jamais été emprisonnés, …
    e. un livre pour rêver, pour fuir, pour … s’évader !
    f. un livre à statut spécial: (Bible, Coran …) : le livre que l’on reçoit, que l’on respecte ; que l’on nous a appris à lire, c'est-à-dire à comprendre ! le livre sacré dont on ne remet pas en cause le sens et l’esprit mais parfois aussi la lettre. Le livre parfois comme support du fanatisme, de l’aliénation. Le livre qui défie le temps. Quid de la lecture (et de l’interprétation) des livres saints : Bible, Coran …Quels liens et quels débats d’idées entre les responsables de l’éducation, de la bibliothèque et des services spirituels ?
    g. Quel est le statut des livres particuliers : les dictionnaires et des encyclopédies (où on peut « tout » connaître quand on ne connaît « rien »)



    B. Pas de livre

    1. La plupart des détenus n’ont que rarement fréquenté une bibliothèque avant leur entrée en prison. Bien souvent, le livre n’a que peu de place dans leur univers, y compris leur univers physique. Il y avait peu ou pas de livres à la maison. La population carcérale est une population ayant le moins accès (pour divers motifs) à l’éducation formelle et familiale.

    2. Le livre en lui-même n’est pas un enjeu pour les détenus pendant la période de détention; bien souvent, le livre est assimilé à matière à étudier et donc à l’école et donc bien souvent à l’échec.

    3. Les détenus, comme la plupart des personnes et groupes sociaux exclus, perçoivent la lecture comme une perte de temps et une activité tournée vers le passé et l’extérieur : l’histoire de gens qui ne nous ressemblent pas à une période qui n’est pas la leur. Beaucoup diront aussi que « lire, ça fatigue »… ou qu’ils n’arrivent pas à se concentrer ou qu’ils n’ont pas les bonnes lunettes.

    4. On l’a dit : il est difficile de trouver des livres dans la langue du lecteur car la problématique des bibliothèques en prison rejoint la difficulté de trouver du matériel pédagogique adéquat pour les adultes en processus d’alphabétisation, d’éducation des adultes, de formation et d’apprentissage …

    Mais la question fondamentale est celle-ci : pourquoi faut-il lire ? Pourquoi voulons nous que le détenu lise ?

    Si c’est pour trouver de l’information, je crois qu’il en trouvera en regardant la TV, en écoutant la radio, en échangeant avec les pairs, en lisant des modes d’emploi et les dépliants, en faisant aussi appel à son expérience ! La dimension « lire pour apprendre » trouve donc une réponse ici : pas besoin du livre.

    Par contre, s’il s’agit d’aller à la bibliothèque pour avoir une activité différente de la routine quotidienne proposée / imposée par la prison, … nous nous trouvons alors au centre de notre problématique.


    C. Pas de livre ne signifie pas qu’on ne lit pas ou : faut –il un livre en mains pour pouvoir dire que l’on est en train de lire


    1. Les populations exclues sont à la recherche d’information et d’outils pour comprendre. La plupart de leurs sources d’information sont la TV, la radio et surtout les réseaux informels d’échange entre détenus. Dans certaines prisons de certains pays, des cours Internet sont organisés et certains détenus y accèdent. , « la chose écrite » n’en existe pas moins. Remarquons que ce sont ceux qui lisent le moins qui collectionnent le plus les revues, feuillets de présentation et publicité.




    Peut-être devons nous faire un effort pour concevoir qu’une dynamique culturelle passe par d’autres voies que le livre. Des gens de ma génération et de mon milieu culturel vivent encore souvent la relation au livre comme essentielle dans la vie quotidienne : étude, travail, loisirs, références. Le livre est non seulement un support d’information mais également un « bel objet Un accès limité au livre ne signifie pas nécessairement un accès limité à la culture …. Ce qui ne signifie pas évidemment qu’aucune initiative ne doit être prise.


    2. Dans la chose écrite, le détenu (et la personne exclue de la culture) va rechercher des informations claires, des informations et recettes ou du rêve à l’état pur. Ce sont eux qui vont lire et relire les magazines people (pour le rêve, la vie effective et sexuelle des vedettes) et les catalogues et magazines présentant les programmes TV accompagnés d’enquête simplifiées. Ces magazines ont beaucoup de succès en prison non seulement parce qu’ils sont accessibles en nombre mais aussi parce qu’ils sont axés sur le présent. On a tous le même niveau de connaissances que pour en parler.

    3. Dans ce contexte, on ne lit pas pour le plaisir mais parce que l’on a besoin d’une information. Le livre est « nécessairement » source de vérité. On pensera rarement à vérifier à une autre source, un autre livre. Le premier livre arrivé pour répondre à une question précise sera le bon – comme les amis, parfois !

    4. Si une seule source d’information peut être nécessaire pour trouver des informations techniques et ponctuelles, il importe aussi d’apprendre à faire l’expérience de la confrontation de deux « vérités » présentées dans des livres différents: c’est utile pour la vie familiale, sociale mais c’est un réel enjeu en ce qui concerne le livre ou les livres des religions

    5. On lit (ou on se faire lire) les lettres envoyées par la famille. Il faut remarquer qu’outre les visites, le seul moyen de communiquer est l’écriture (la lettre) – le téléphone présentant plusieurs difficultés en terme de sécurité. C’est spécialement le cas pour les détenus étrangers.


    Conclusion provisoire :

    Il y a paradoxalement peu d’intérêt pour le livre mais un intérêt pour la lecture quand celle-ci coïncide avec la recherche d’informations.

    Si vous acceptez ceci, cela pose effectivement la définition de la bibliothèque comme un lieu où il y a autre chose à faire que d’aller chercher des livres à lire.

    Une fois de plus, si on se contente d’une salle où on croit que les détenus vont venir lire (alors qu’il n’y a déjà pas de place pour loger les détenus), on est dans l’impossible. Ce n’est pas une politique d’encouragement à la lecture que de ne prévoir qu’une salle de 10, 20 voire 50 places pour une prison de 500 personnes.
    D’autant plus que l’on sait qu’il n’y a pas beaucoup d’autres lieux pour lire : la surpopulation en cellule, l’ambiance générale et la TV du co-détenu ne rendent pas facile la décision de lire.

    Le bibliothécaire n’a pas terminé son travail quand les livres sont distribués: pour certains détenus, le livre restera un objet symbolique; pour d’autres, il faut prévoir un « mode d’emploi » discret.

    Il faut accompagner la lecture mais surtout le lecteur dans ses hésitations, sa peur de ne pas comprendre l’essentiel du texte, d’être ridicule ou honteux de montrer son analphabétisme, sa volonté de commencer une activité qui n’est pas « de son rang », d’apparaître comme un traître à son milieu, à sa culture, à ses codes, à sa manière traditionnelle d’apprendre, d’avoir en main un livre dont le titre peut casser son image.

    Cet accompagnement est l’essence même du travail du bibliothécaire en prison ; ce doit être un élément essentiel de sa formation qui ne pourra se faire qu’avec les intervenants socioculturels de la prison.

    C’est dans ces conditions que la bibliothèque sera autre chose qu’un local négligé, sous valorisé où on distribue des livres. Les bibliothèques doivent devenir des lieux de culture.

    « Des « lieux, c'est-à-dire plusieurs à s’éclater en divers endroits pour informer, faire connaître, interroger, intriguer. Ces endroits sont évidemment des pièces fermées mais également des murs où des informations et affiches peuvent être présentées, les parloirs, la cour etc…

    Mais ce ne sera pas suffisant : ce ne sont pas que les espaces physiques qui doivent s’éclater, être démultipliés ; ce sont aussi les intervenants de la santé, de l’action sociale, de la défense, les équipes de cuisine, de formation professionnelle, les agents pénitentiaires, les familles qui doivent faire en sorte que la prison soit progressivement un lieu où on apprend à poser les questions sur soi, les autres et la société et non pas uniquement un lieu où on apprend des réponses simplistes à des réalités complexes. Apprendre à poser ces questions et développer des stratégies pour aller chercher des réponses dont les éléments de quelques-unes sont dans des livres, des brochures, des magazines.

    C’est au moins ambitieux et sans doute irréaliste. A court terme certainement. Et bien sûr ce n’est pas de la seule responsabilité des bibliothécaires ! Lire, ce n’est pas l’activité d’un passif, de quelqu’un qui veut passer le temps. Lire, c’est un rapport dynamique au texte, à l’image, au film et donc au présent !

    Je connais un peu la réalité des prisons ; la sécurité est l’objectif numéro un et il importe d’abord d’éviter que des gangs gagnent du terrain et que des projets négatifs ne voient le jour. Dans un univers où il y a trop peu de personnel pour les besoins de base tels la santé, la nutrition, la santé mentale, la sécurité, l’alternative culturelle n’a que peu de place mais elle est l’enjeu.

    Multiplions les lieux d’information, multiplions les catégories d’information, diversifions les supports de l’information (images, musique, expression, corporelle, dessins, tags, l’écrit…) pour que la bibliothèque soit réellement intégrée à la prison et puisse modestement contribuer à aider le détenu à penser, en connaissance de cause, un autre futur dès la sortie de l’établissement.



    Soyons plus concrets encore : REPENSER LA BIBLIOTHEQUE


    1. UN LIEU POUR TOUS LES ACTEURS

    a) Si on veut que la bibliothèque devienne réellement un lieu de production et d’échange de cultures et de savoirs, il faut que ce lieu soit signifiant pour l’ensemble des personnes qui « vivent « en prison. Cela nécessite l’implication des gardiens non seulement pour l’accessibilité à la bibliothèque mais aussi les possibilités de lecture en cellule.

    b) Implication des détenus non seulement pour la gestion de la bibliothèque (entrées et sorties) mais aussi l’animation et l’organisation d’activités …Plusieurs expériences d’écriture et d’expression sont tentées en prison ; la publication d’un journal en est une. Il s’agit soit de la publication du journal de la prison, du journal des activités des détenus, d’un journal exclusivement destiné aux détenus ou encore destiné à être distribué, dans un réseau restreint, aux familles et amis des détenus.

    c) Importance de lier le travail des bibliothèques en prison avec les préoccupations des associations de bibliothécaires et les bibliothèques de la ville (pas seulement pour l’apport de livres)


    2. UN LIEU DE DIFFUSION

    Différentes fonctions pour un même espace d’information (dont la lecture) et de création de savoirs
    - un lieu de consommation de savoirs utiles et / ou distrayants
    - un lieu de création de savoirs utiles et / ou distrayants
    - un lieu de partage de savoirs utiles et / ou distrayants
    - un lieu d’articulation et de cohérence active entre les activités éducatives, (alphabétisation, éducation formelle, formation professionnelle, …)
    - un lieu accueillant des activités de promotion de l’éducation (livres, encyclopédie, ordinateurs, photos, vidéos…), les activités de santé, de citoyenneté,
    - un lieu d’échange d’expériences éducatives heureuses entre parent incarcéré et enfants

    Si la bibliothèque est effectivement dans un seul lieu, ses activités peuvent être démultipliées ou décentralisées. Ainsi, des expositions sur des thèmes importants peuvent être construites dans la bibliothèque et proposées sur plusieurs murs, dans plusieurs endroits. Même chose pour l’alimentation, la santé, l’hygiène, la relation parents –enfants, …)








    3. UN LIEU D’ANIMATION

    L’appropriation collective du livre : qu’en est il des expériences où les détenus lisent ensemble ou séparément le même livre et en discutent. Comment s’effectue le choix du livre ? Comment s’organise la discussion, quels thèmes sont privilégiés. Existe-t-il une mini enquête, préparée par les responsables des bibliothèques, pour connaître les goûts (changeants, indécis, vagues) des détenus ?

    Prévoir des espaces et du temps en nombre car la concentration est difficile pour les détenus. Pour la plupart des détenus, le temps de concentration (intellectuelle !) est faible (il faut donc plusieurs temps par jour) et, paradoxalement, le temps est compté en prison.

    Faut-il repenser l’organisation des heures d’ouverture de la bibliothèque (combien d’heures par jour, accessibilité, places pour lire)

    Peut-on lire hors de la bibliothèque et si oui, quelles sont les conditions de lecture dans la cellule (surpeuplée)


    4. LIEU DE PRODUCTION

    Pas simplement lire mais aussi produire du matériel: information sur la santé, la citoyenneté au départ de leurs propres lectures (magazines de foot, magazine people, TV, sexe) Construire de l’information à partir de ce matériel, rechercher les compléments d’information (ou l’information exacte) dans les livres et diffusion
    Comment nait l’idée ? Qui la propose ? Quelle est la participation des détenus et ce pendant combien de temps : un numéro, plusieurs numéros ? Qui lit le journal ?

    Est ce faire sa propre littérature à lire (axée sur le présent, utile pour la valorisation,) ou une entreprise de valorisation (demande) vers la famille (reconnaissance), un public extérieur (quand la possibilité existe)


    5. LIEU DE COHERENCE

    La bibliothèque peut certainement être le lieu de cohérence entre les diverses activités éducatives (alphabétisation, éducation non formelle, éducation professionnelle, activités sportives, courrier à la famille, visite de la famille et des enfants, information sur le dedans de la prison et l’après (législation logement, travail, prêts, difficultés de réadaptation …)

    A l’avenir, penser l’organisation de la bibliothèque en lien avec les autres sources de savoirs et donc l’atelier informatique, proximité des locaux de l’éducation non formelle, de la formation professionnelle.








    Conclusion


    Une politique d’éducation en prison questionne inévitablement les liens entre éducation, culture et réalité sociale.
    Tout comme on ne peut organiser de politique éducative sans tenir compte de la réalité socio-culturelle de l’apprenant, on ne peut préparer, avec lui, sa sortie sans prendre en compte ses expériences culturelles antérieures.

    Nous avons généralement une bonne connaissance de sa consommation culturelle en prison et au-dehors ; ce sont la télévision, les magasines people et des bandes dessinées où les héros réussissent tout, où des prisonniers parviennent à s’évader, où même les moins beaux ou les plus violents se promènent aux bras de femmes splendides (et stupides) , où on s’émerveille du trajet professionnel parfait de telle vedette sportive ou du show bizz, le tout sur fond de jeunesse dorée et libre de toute contrainte.

    Cette culture d’évasion, négation de la réalité, se combine avec les codes d’honneur et de comportement, les croyances, les certitudes quant au futur.
    Certains détenus écrivent parfois ces certitudes sur leur corps: ce sont les tatouages portant le nom de l’aimée, des enfants voire prédisant un sort inquiétant pour la Police ; preuve que, pour eux aussi, l’écrit est important !

    Dans ce contexte, le livre de bibliothèque sera d’abord perçu comme le reflet d’un monde social et culturel étranger: de celui qui a prononcé la condamnation.

    Le livre, symbole d’un ordre et d’une classe sociale, n’aura de signification positive pour le détenu que si, non seulement le bibliothécaire, mais également tout le personnel de la prison, soutiennent toute forme d’apprentissage, suscitent l’intérêt pour la recherche, valorisent l’expression et multiplient les lieux et les occasions de lecture.

    Vous le savez: votre travail n’est pas terminé quand on avez repéré le livre, noté le nom du futur lecteur.

    Vous êtes le lien entre le lecteur et la lecture

    Je crois qu’une politique qui voudrait valoriser les bibliothèques mais qui ne prendrait pas en compte les différents supports de lecture et qui ne veillerait pas à « casser les murs » de la bibliothèque pour transformer la prison en environnement éducatif, ne serait qu’un échec de plus dans le secteur de l’éducation en prison. Au mieux, on ne favoriserait que des attitudes d’imitation (« je vais à la bibliothèque pour montrer que je suis en voie de réintégration ») ; au pire, un rejet définitif - et en connaissance de cause – du livre et donc de l’expérience d’autrui. Ce qui serait un comble pour une institution – telle que la prison – qui entend, dit-on, permettre une nouvelle socialisation.

    Peut-être qu’un jour, les détenus verront dans le livre « un bel objet »

    Marc De Maeyer
    Buenos Aires
    1 octobre 2009

    Marc De Maeyer a été pendant 14 ans chercheur principal à l’Institut de l’UNESCO pour l’apprentissage tout au long de la vie. Il est actuellement expert consultant pour le projet Eurosocial ainsi que pour certains gouvernements.

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